Juin 5

Prescription cinquantenaire : la preuve de la nationalité française par filiation

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Serais-je admis à apporter la preuve que je suis français car né de parents français ? Nombreux sont les descendants de français se posant cette question. Particulièrement depuis 2012, année du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Focus sur la prescription cinquantenaire.

Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français

article 18 du Code civil

Prouver sa nationalité par filiation

Le principe du jus sanguinis (droit du sang) est central dans le droit de la nationalité française. Il traduit l’idée que la nationalité française peut se transmettre à ses enfants quelque soit leur lieu de naissance.

Lorsqu’il y a un doute sur la nationalité (notamment après un refus de délivrance d’un certificat de nationalité française), il faut alors prouver son lien de filiation avec un ancêtre français. Cette preuve est apportée par les actes d’état civil établissant la filiation avec l’ascendant français.

Or certaines dispositions du Code civil empêchent le descendant de français de faire la preuve de sa nationalité française par filiation.

Lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français.

article 30-3 alinéa 1 du Code civil

Certaines personnes ne sont donc pas admises à apporter la preuve qu’elles sont françaises par filiation. On leur opposera en effet une fin de non-recevoir. Peu importe que le lien de filiation ne fasse aucun doute, elles n’ont plus le droit de l’établir devant un tribunal.

Qui est concerné ?

Pour que cette fin de non-recevoir puisse être opposée par le Procureur de la République, plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies :

  • En ce qui concerne le demandeur :
    • Il doit revendiquer la nationalité française par filiation. Cela exclut donc les personnes française par application du jus soli (droit du sol)
    • Il ne doit pas avoir sa résidence habituelle en France. Dans le cas contraire, il pourra apporter la preuve de sa nationalité par filiation
    • Il ne doit pas bénéficier de la possession d’Etat – tout document attestant qu’il a été considéré comme un français par l’administration. Exemple : carte d’identité, passeport, carte d’électeur, acte retranscrit, etc…
  • En ce qui concerne les ascendants :
    • Absence de résidence en France depuis plus d’un demi-siècle (prescription cinquantenaire)
    • Absence de possession d’Etat français

Ces dispositions ont eu un effet dévastateur notamment pour les français des pays anciennement rattachés à la France. Tels est le cas des descendants de français nés en Algérie où ils ont toujours résidé. Leurs enfants ne sont plus recevables à en apporter la preuve depuis le 4 juillet 2012, soit cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie.

Une solution : la réintégration dans la nationalité française

Dans l’hypothèse où le demandeur à la nationalité française ne serait plus admis à apporter la preuve de sa nationalité, le juge doit tout de même statuer sur la date à laquelle il a perdu la nationalité française.

Le tribunal devra dans ce cas constater la perte de la nationalité française, dans les termes de l’article 23-6.

article 30-3 alinéa 2 du Code civil

A cet stade, tout n’est pas perdu. Il est en effet possible d’être réintégré dans la nationalité française par déclaration. Prévue par l’article 24-2 du Code civil, il faudra alors justifier de liens étroits conservés avec la France :

Elles doivent avoir conservé ou acquis avec la France des liens manifestes, notamment d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial.

Article 24-2 alinéa 2 du Code civil

La désuétude et la nationalité française

La prescription cinquantenaire traduit l’idée qu’il faudrait jouir activement et ostensiblement de sa qualité de français.

Or qu’un français puisse découvrir qu’il ne l’est plus au moment même où il revendique sa nationalité est critiquable.

A cet égard, le Sénateur Jacques HABERT, auteur d’une proposition de loi tendant à abroger les dispositions du code de la nationalité relatives à la désuétude disait :

La France, qui n’a jamais été un pays d’émigration, et ne le deviendra probablement jamais, peut-elle dédaigner ces élans de sympathie au sens le plus fort du terme, et ces manifestations d’attachement ? Certainement pas, et ceci d’autant moins que cette touchante fidélité ne peut que renforcer son rayonnement et sons influence dans le monde.

Parmi ces manifestations, les plus émouvantes ont été celles de familles d’origines française à qui notre nationalité a été enlevée, sans qu’elles en aient été averties, par une application automatique de dispositions administratives très sévères parfaitement ignorées des Français qui allaient en être les victimes.

Texte n° 486 (1988-1989) de M. Jacques HABERT, déposé au Sénat le 14 septembre 1989